La porosité des contours
Isabelle Faccini
exposition - mai 2015
Cette exposition inaugure la résidence artistique d'Isabelle Faccini à La Ricamarie.
Il s'agit là , avant de démarrer le travail en territoire, de donner à voir la démarche artisitique à partir de laquelle se construit le projet.
Isabelle Faccini proposera aux habitants un travail autour des objets fétiches, amulettes,
talismans, ex-voto, grigris, porte-bonheur.
Un travail de mémoire personnelle et collective qui investira l'espace public.
Le fil, les aiguilles, la peau.
Sans le fil, sans les métiers qui le tissent, sans les travaux d'aiguille, la peau humaine serait exposée aux morsures du froid et aux brûlantes chaleurs. Toute cellule, végétale ou animale, est entourée d'une membrane, tout vivant a une peau ; la notre, glabrescente et fragile, est un tissu particulièrement vulnérable. Sous le réseau maillé de l'épiderme, le derme présente une structure en feutrage où parviennent les vaisseaux sanguins et les nerfs à travers l'éponge de l'hypoderme. Mais à l'œil nu, quand le corps pèle, l'escame ressemble à un papier, à une pellicule. Cette surface, avec ses plis, ses pores, ses invaginations, ses cicatrices, forme la limite entre le dedans et le dehors et les met en contact. Et les vêtements, avec leurs plis, et leurs poches, leurs doublures, leurs coutures, enrobent et protègent cette enveloppe cutanée. Il est d'ailleurs remarquable qu'on nomme "dépouille" à la fois la peau enlevée à un animal et le vêtement qu'on porte ou qu'on vient de quitter.
Les sculptures en latex d'Isabelle Faccini rappellent des dépouilles ; elles figurent cette limite feuilletée, cette enveloppe protectrice, débarrassée de son intérieur corruptible, durcie contre l'extérieur menaçant. On dirait ici de longues lanières de peau nouées et conservées comme des trophées, là les organes évidés d'un pachyderme, une poche matricielle désertée, des trayons taris, ou des pénis momifiés devenus de simples étuis. La cloche silencieuse, même, réminiscence du film de Tarkovski, Andreï Roublev, évoque une cage thoracique, ou une cavité utérine.
Sous son réseau maillé, la toile enduite de latex forme une membrane souple, un tissu élastique et résistant, un derme. Et toi, rendue plus sensible à ta propre peau, tu erres autour de ces reliefs suspendus ; debout, toute petite, tu t'imagines à l'intérieur lovée dans le noir, mais tu es dehors, c'est irréversible, expulsée dans la lumière à laquelle, souviens-toi, il faudra dire adieu. N'est-ce pas du temps, du temps de travail humain, qui est captif dans ces entrelacs, comme il est captif dans la dentelle? Une histoire encore s'associe, celle des sœurs filandières, les Parques, qui filent, dévident et tranchent le fil des vies humaines.
En coupant et suturant le latex avec une sensibilité chirurgicale, Isabelle Faccini donne forme à des préoccupations immémoriales de l'humanité.
Françoise Le Roux