Atelier d'écriture : protubérances
Dans le cadre de l'exposition Protubérances , animation d'un atelier d'écriture par Roselyne Casenave Enfroy .
Vésubie , quelque part, une place.
Minuscules particules, jus gazeux de chlorophylle, d’air et d’eau, zeste de miellat de terre, s’épanouissent sous la dent, restent empreintes, ineffables germinations, possibles.
Entre vie et ventre, entre four et prochain elles restent, un moment, à reprendre leur esprit.
Attendre. il faut attendre sans précipitation l’ultime échappée de leurs vapeurs, puis délicatement de la main en coquille effleurer tout le long leur échine, qui monte et puis descend, leur peau dorée et brillante, entre pouce et index crac cric casser net leur crêtes brunes, fermer leur paupières.
« Beau front, beaux yeux, nez de cancan, bouche d'argent … »
Une double ponctuation, deux points odorants que les paluches expertes et franches, amoureusement séparent en leur exact milieu, rompant définitivement la gémellité des miches soudées par le feu du four.
Attendre.
Six ans, sortie de messe, traverse la place dernier de file indienne familiale, nez au sol les trésors, nez au vent les rêves et les vœux, liberté entre deux lignes parallèles et tangibles.
Six ans, sortie de messe, traverse la place plein août chaud et moite, en montagne sûrement gronde l’orage, dès rentrés nous fermerons les persiennes à demi dit l’adulte, laisserons le lourd au dehors.
Allée vers les sens.
Six ans, traverse la place sous le décroissant tintinnabule de la porte de l’échoppe, entre ses bras serrés porte un plaisir, un trésor, entre deux lignes d’horizon entend bruire l’odeur du grain levé jusqu’aux tréfonds de son futur.
Six ans, nez à terre, nez au vent, bras serrés sur un bonheur sait déjà la noisette fiancée au thym et aux épices lointains. Prémices de la douceur.
De l’émotion ou de la forme, laquelle prime à l’instant du désir ? Elle, ou Elle, est peinture mouillée au doigt, esquisse du visage d’un met, sens d’un paysage prolifique, projet sculpté de la pensée. Le visage concentré de l’enfant s’incline sous la lumière du fenestron de la cuisine, caresse.
« Beau front, beaux yeux, nez de cancan, bouche d'argent, menton fleuri, … », la main de la mère sur le visage de l’enfant à la porte de la nuit, la joie rassurante, la gourmandise de l’amour, l’instant virgule où la paume contient le contour du menton, remonte l’arrondi de la joue, tendre sur la peau tendre, glisse depuis le front, abaisse les paupières, un baiser. « Bonne nuit » comme « Bon appétit ». Bon appétit de rêves, Bon appétit de vivre. Vivre en boule. Bercer la boule, endormir l’appétit de vivre, éveiller l’appétit de rêves. Enroulée, la boule, garder dans le creux du corps bien à l’abri la chaleur de l’éphémère bonheur, bercer l’enfant, bercer le rêve, boules de grains en germe, pâte vivante et chaude qui coule le long des veines, sonne trois petits coups creux sur sa semelle dorée, toute prête, toute chaude aux portes du sommeil, rondeur à point que demain l’on écharpera sans pitié du grand couteau à dents de scie.
Alors, sera nid d’abeille en son for intérieur, aux alvéoles entre-figées d’une si fine et si puissante membrane de chair à déchiqueter, mâcher, savourer. Fragrances torréfiées de graminées rares, saveurs laiteuses aux papilles, roulés-boulés de plus de 6000 ans d’âge dont chaque nouveau jour est anniversaire et combat gagné sur l’adversité en marche.
Attendre jusqu’à demain. Attendre jusqu’à six ans et un jour. Panser l’attente cheminant jusqu’au buffet, jusqu’à l’odeur du torchon de fil, jusqu’au carré de buis dévolu au déjeuner. Buis, Buis, Buis, Buis, crème du lait, gelée de rhubarbe sauvage, torchon de fil entrouvert…
COUTEAU SCIE.
Il dessine dans l’eau de la pâte ton autoportrait, en fils qui s’allongent, s’étirent, se soudent en mille bulles gloutonnes d’air tiède, gonflent et croissent drôlement en une espérance vibrante qui le parcourt comme ventre plein, toit sur la tête, tranquillité. Eprouver, laisser venir, doucement, stop. Reprendre. Eprouver, laisser venir, doucement, stop. Accompagner. Laisser faire. Etre là.
Il pense jaune, or, caramel, crème, blancheurs, fumets, craquements, moelleux jus de vie, pluie, soleil. Semaison, fenaison, moisson.
Il quitte la table, regarde au loin l’arpent, expire. C’est tout prêt d’arriver.
Tresses dynamiques encore douce de poudre
Mains comestibles en fleur ouverte au jour
Miche montagne en attente des dents
Reptile enfant pris dans des boucles d'air
J'ai habité une nasse debout. Elle dansait dans l'air sensible de la salle d'exposition . L'haleine des gens déposait sur les parties plates du fil une légère brume de salive. Parfois au sol se réveillait mon voisin , un serpent en route vers ce que j'attendais alors
Ce fut la nuit. La nuit noire où je ne dormais pas. Ce fut durant. Les yeux fermés le sommeil ne venait pas. J’essayais, mais ca ne venait pas. Alors je les ouvrais. La nuit durait. Alors les yeux fermés je guettais le moment de la chute, le moment où profondément je me serais sentie tomber dans un filet courbé en chute libre mais ça ne venait pas. Je m’asseyais sur mon lit je me dressais. Je m’asseyais alors les yeux grands ouverts et je fixais la nuit noire dans ma chambre et par la fenêtre aussi je regardais. Le noir de la nuit était profond, insondable à mes yeux d’insomnie. Et tout à coup soudaine ce fut là. Ce fut descendant de la casserole éclatée la réflexion verticale de la grande ourse un aveuglant trait blanc partageant le ciel.
Elle est là cette verrue qui me rongeait la tête. Elle est là sur la table. Visqueuse, minuscule et pourtant envahissante, grise et lâche. Je veux la saisir pour l'écraser, mais elle glisse entre mes doigts et court en ricanant sur ses petites pattes ridicules. Ses yeux vitreux qui me transpercent me donnent mal au cœur. Je n'en peux plus. Je saisis un grand bocal et d'un geste vif et rapide, je le renverse sur cette bête immonde et je l'emprisonne. Son rire s'éteint, elle se fait de plus en plus petite pendant que ma tête se libère. Et tout mon corps reprend vie.
Enfant issu de l'infini arrivant dans le chaos
Doigts liés en paume bûcheronne
Corps pétris d'organes en mie de pain
Utérus géant pour descendance future
Pieds aériens pour marches nuageuses
Seins en pommes d'amour pour bébés voraces
Banc de cœurs flottant dedans.
Gamètes roses et bleues en suspension liquide.
Tête fermée parasitée autour.
Déroulée d’Ariane en sauce légère.
Doublure de peau pardessus l’hiver.
Bicéphale de boa sans chapeau.
Bougée poilue secouée par le vent.
Baleine digérant son hémisphère.
Nids habités renversés à l’endroit.
Fuite de soie dans l’oreille du tigre.
Filets de fils sautés à la ligne.
L'enfant :
Au bout de ma ligne ses grains noirs et blancs ses bulles respirantes, ses luisances roses.
Dans la salle immense la marche est longue à six ans, 300 pas de tête à queue 600 pas de tout le tour, sauter en l’air pour mieux y voir
« Combien d’os as-tu ?
Combien de cages as-tu ?
Combien de peaux, combien de poils as-tu ?
Combien du temps passé sais-tu? »
Elle, l'être hybride, La baleine :
« Ai traversé de l’eau à l’air via Horn et Calais, comme une échouée de caisses clouées suis. Désensemencée*, à rassembler.
Te ressembler. »
L'autre ( ...inconnu-e, voix off, part du pauvre, sur moi, sous moi, sub, es quelque chose):
« À la pêche À la pêche à la baleine
Tu ne veux pas y aller !?! disait le père courroucé
« Et pourquoi donc,
Que j’irai,
que j’irai pêcher
une pauvre bête
qui ne m’a rien fait, répondait le fils en colère,
Va la pêpê,
Va la pêcher toi-même !
Le fils nettoie le fils balaie le fils surveille au musée la baleine digérant son hémisphère, la belle baleine aux yeux bleus, la baleine qui ne lui a rien fait, la baleine digérant son père.